Mosty | NOUNGO |
En quelques mois, Mosty est devenue la nouvelle sensation du rap ivoirien grâce à son flow, son attitude et sa personnalité attachante. Malgré son jeune âge, elle mêle le rap aux musiques ivoiriennes plus anciennes et surprend par sa maturité. Le 4 décembre dernier, elle a sorti son tout premier EP, intitulé « Aya de Didiévi », fruit d’un fulgurant passage des réseaux au studio. Car la rappeuse s’est fait connaître en Côte d’Ivoire il y a un peu plus d’un an grâce à de courtes vidéos humoristiques enregistrées dans sa chambre d’ado en région parisienne. Du côté d’Abidjan, on appelle ça des « dégammages ». Ces freestyles de quelques secondes, basés sur son observation de la vie quotidienne ivoirienne, agitent instantanément le net. « Du jour au lendemain, j’ai vu que les gens me cherchaient de partout sur les réseaux. Les artistes ivoiriens ont commencé à m’envoyer des messages sur Instagram. Après plusieurs vidéos, on me disait déjà de rentrer en studio », se souvient-elle.
« Moi ce qui m’a frappé, c’est le fait que ce soit drôle, mais que ça avait un sens, ça tapait dans le mille à chaque fois », se rappelle Mr. Béhi. Ce rappeur forme le groupe de rap SVBV avec Fireman et Iperkut. C’est aussi depuis dix ans l’un des beatmakers ivoiriens les plus réputés. Il a produit des titres pour le groupe de rap Kiff No Beat (« C’est pas pareil » en featuring avec Sidiki Diabaté), mais aussi pour les stars du coupé décalé comme DJ Arafat (« Mouvement Patata », « Aurore Mélodie ») et DJ Kedjevara (« On se gninnin »). Après avoir vu les vidéos de Mosty, Mr. Béhi cherche rapidement à entrer en contact avec elle. Il vit encore en Côte d’Ivoire à ce moment-là. Il lui propose de travailler avec elle en studio d’ici quelques mois, le temps qu’il vienne s’installer lui aussi en région parisienne.
Depuis 2013, Mr. Béhi sample des chansons ivoiriennes du passé pour les intégrer à la trap qu’il produit. Il était donc le beatmaker idéal pour créer l’univers sonore de Mosty, cette jeune femme de 17 ans elle aussi passionnée par ce riche répertoire. Ils commencent ainsi leur collaboration par des séances d’écoute. « Ce qui m’a étonné, c’est qu’elle est super jeune, mais elle connaît des sons d’une époque où elle n’était même pas encore née. C’est assez étonnant et intéressant parce que la majorité des rappeurs et rappeuses de son âge n’ont pas ces références. C’est ce qui fait qu’elle est différente des autres », confie Mr. Béhi. Cette culture musicale, Mosty a commencé à l’acquérir dès le plus jeune âge grâce à la danse.
Les premiers pas
« Au début, mon rapport avec la musique, ce n’était pas le chant ou le rap, mais plutôt la danse », précise Mosty. La petite Nolwen Kouadio, son nom à l’état civil, a grandi à Port-Bouët, l’une des dix communes de la ville d’Abidjan. Elle rejoint rapidement la troupe de danseurs de son quartier dirigée par Dannye Blue, un chanteur qui a eu son petit succès au début des années 2000. « C’est lui qui m’a appris à danser quand j’avais quatre ans. C’était de la danse coupé-décalé, j’ai toujours été dans le coupé décalé. »
Durant ces années, c’est parfois la galère et la danse permet de ramener un peu d’argent au foyer : « Il y a eu des périodes où c’était chaud parce que mon père était occupé pour qu’on ne manque de rien. Moi, je partais danser dans les baptêmes. C’était du vrai “travaillement”. Les gens versaient de l’argent sur nous. On était des enfants donc ce qu’on voulait c’était des bonbons, de l’alloco, et des galettes. On kiffait la vie, simplement. »
Il y a quatre ans, la jeune femme rejoint sa mère dans l’Essonne, au sud de Paris, pour poursuivre ses études. Immédiatement, son éloignement de la culture ivoirienne la pousse à s’en rapprocher : « Je me suis intéressée à la musique de mes parents. Je me suis demandée comment c’était la musique avant. J’ai commencé à écouter Ziké, Meiway, Deza XXL, et plein d’autres. J’aime leurs mélodies. En plus, ils n’avaient pas la technologie d’aujourd’hui. Quand tu écoutes Ernesto Djédjé, il n’y a rien de mieux. Ça m’a donné envie de les faire revivre ».
King Lexus Feat Mr Behi & Mosty – Bloqué Ta Guiss
La Jet Set du rap ivoire
Mosty et Mr. Béhi font partie d’une petite communauté de rappeurs, de beatmakers, de réalisateurs de clips, de stylistes ivoiriens installés en France. Une vraie petite famille, principalement située en région parisienne, dans laquelle règne l’entraide : « Entre nous, on s’appelle la Jet Set du rap ivoire [en référence à la Jet Set, le groupe qui a lancé coupé décalé à Paris, NDLR]. On a décidé de tous se tendre la main. C’est un cercle vertueux. On se soutient. On traîne ensemble au studio. On fait des featurings ».
En juin dernier, Mosty fait sa première apparition dans le monde de la musique sur le single « Bloqué Ta Guiss » de l’artiste King Lexus. Cette chanson est un pur produit de ce collectif et elle est chargée de symboles au regard de l’histoire de la jeune rappeuse. D’abord, parce le morceau reprend l’un des succès de Dannye Blue, l’artiste qui lui a enseigné la danse quand elle était enfant. Ensuite, avec cette chanson, King Lexus, anciennement connu comme DJ Lexus, amorce un nouveau chapitre de sa carrière en passant du coupé décalé au rap. Une démarche qui parle forcément à Mosty.
« Elle est venue en studio. Lexus avait déjà posé les prémices de “Bloqué Ta Guiss”. Quand elle a entendu ça, elle a eu envie de poser dessus direct », se remémore Mr. Béhi. « Elle est revenue quelques jours plus tard, après l’école. Elle a posé son couplet et elle est repartie ». Emballé, c’est pesé. Le titre devient un tube en Côte d’Ivoire et le couplet agressif de la jeune lycéenne fait sensation. En octobre dernier, la clique du rap ivoire en France enfonce le clou grâce au single « MouMaMou » de Mr Luck sur lequel Mosty apparaît en featuring. Là encore un succès.
Mr Luck Feat Mosty – MouMaMou
Mettre le passé à sa sauce
Après le premier confinement du printemps, Mosty et Mr. Béhi travaillent ensemble pour définir le son de la jeune rappeuse. Ils s’orientent rapidement vers un style musical en prise avec les dernières tendances du hip-hop (trap, drill) et qui remet au goût du jour le patrimoine musical ivoirien. Ils choisissent tous les deux les chansons que le beatmaker va sampler pour composer. En septembre paraît « Matiko », le premier single de Mosty en solo. Le titre reprend un air de Chantal Taïba. Il fait référence au matiko, le style musical que la diva ivoirienne a popularisé dans les années 90 et qui à l’origine était une danse de réjouissance des femmes kroumen (les krou sont un des groupes linguistiques de l’Ouest ivoirien, NDLR). Le résultat est réjouissant, frais et entraînant. Le refrain rend hommage à la femme africaine et à ses formes : « Elle a les mouments (les rondeurs en nouchi) / Elle a le botcho [fessier en nouchi] / Elle a les boby [de bobitana, « les seins » en argot kamer]/ Elle a les wé [elle est jolie] / Elle danse le matiko / Matiko ».
Ce mélange innovant entre le présent et le passé remanié caractérise la démarche artistique du premier EP de Mosty, Aya de Didiévi, sorti le 4 décembre. Mr. Behi a travaillé sur l’ensemble du disque : « Ce qui fait la spécificité de ce projet, c’est que la majorité des sons sont comme ça. Les autres artistes avec qui j’ai pu travailler n’ont pas basé d’album sur ce concept ». L’objectif avec ce nouveau cocktail sonore, c’est de parler à toutes les générations. Dans « Mosty Est Là Oh ! », la chanson qui ouvre l’EP, la jeune rappeuse rappelle d’ailleurs que : « En trois mois, j’ai réuni ta go, ta maman et ton tonton dans ma fanbase. »
Et pour pouvoir toucher tout le monde, rien de plus efficace que les refrains connus de tous. Le premier single, « Délit », s’inscrit dans une esthétique très actuelle avec une rythmique drill, la dernière tendance du rap, tout en reprenant l’air de « Flagrant Délit », tube du chanteur ivoirien Ziké par en 2004. « Les gens reconnaissent les mélodies, ça parle directement aux Ivoiriens », précise Mr. Béhi. Le clip qui illustre « Délit » a été réalisé par Alain Négbélé. Il est le manager de Mosty, mais il est aussi un réalisateur talentueux qui a travaillé pour DJ Arafat (« Moto Moto ») et plus récemment pour la rappeuse Le Juiice (« O Nono », « Buvance »). Pour la première fois de sa vie, Mosty se maquille.
Mosty – Delit
La jeune artiste ne se contente pas d’imiter les chanteurs d’avant. Elle met sa personnalité dans sa musique et fait parler sa plume. Dans son « Flagrant Délit », Ziké parlait d’avoir trouvé sa femme en train de le tromper avec quelqu’un. Mosty a changé le sens de la chanson originale pour de son côté parler des beaux parleurs, des gens qui l’ont lâchée et qui « ont la bouche sucrée, on dirait toffee » (friandise ivoirienne à base de lait concentré, NDLR).
« Le coupé décalé, j’ai toujours écouté ça. J’ai été influencée par DJ Arafat, Debordo Leekunfa, et d’autres. J’aime tellement que ça me fait mal que ça ait disparu depuis la mort d’Arafat. Pour moi, il ne faut pas laisser tomber le coupé décalé parce que c’est à la base de plein de musiques qu’on écoute aujourd’hui. Donc moi je reprends ça et je le mets à ma sauce », affirme-t-elle avec conviction. Dans « Décalement », une chanson calme, lente, teintée de r’n’b, elle parle d’amour et de sentiments tout en saluant à nouveau la Jet Set, les créateurs du coupé décalé (dont Douka Saga fut l’emblématique « messie », NDLR).
Une écriture réaliste
Ce qui frappe chez Mosty, c’est la grande qualité de son écriture. Cela tient sûrement en partie aux rappeurs qu’elle prend pour modèles. Dans « Mosty Est Là Oh ! », elle annonce qu’elle aimerait avoir « le talent à Detfy, la plume à Suspect ». Ces deux artistes, Defty et Suspect 95, figurent parmi les têtes d’affiche du rap ivoire et sont connus pour leurs textes. De quoi surprendre Mr. Béhi : « Ses références ne sont pas évidentes pour une fille de son âge. Ce sont des rappeurs qui ‘’lyricalement’’ écrivent. La majorité des jeunes actuellement ont pour référence Koba La D ou Tiakola, des gars qui ne se basent pas forcément sur le texte. Ce qui la fascine elle, c’est l’écriture. »
Le sens aigu de l’observation et le goût pour la vie quotidienne qu’elle manifestait dans ses vidéos à ses débuts, elle les a injectés dans sa musique. « Techniquement parlant je l’ai aidée, pour lui apprendre comment enregistrer des sons, pour les couplets, les refrains, les chœurs. Mais côté écriture, je ne voulais pas trop tailler le diamant », tient à préciser Mr. Béhi. « Parce que ce qui faisait que les gens l’aimaient, c’était son côté spontané, pur. Donc je l’ai laissée rapper comme elle le voulait du premier au dernier son. Je voulais que l’on retrouve ce pour quoi on l’a connue sur Insta. »
De son côté, la rappeuse analyse : « Ce qui fait que les Ivoiriens m’aiment, c’est que je chante ce qu’ils vivent, ce qu’ils peuvent connaître. » Cette envie de parler du quotidien et de le valoriser, elle la manifeste dès le premier son qu’elle enregistre en studio : « Lêké », sorti quelques semaines avant l’EP, avait pour sujet les chaussures en plastique bon marché, mais tout-terrain portées par les gens de la rue, les travailleurs, les enfants. Elle aime aussi décrire les travers de la société comme dans « Tu fais ? », dans lequel elle taquine de façon codée les gens qui mènent une double-vie et qui se cachent la nuit pour faire certaines choses.
Mosty – Lekès (#Freestyle 1)
Une voix à part
L’ascension rapide de Mosty a de quoi étonner. Il ne faut pas l’oublier que jusqu’à présent, très peu de rappeuses ont réussi à se faire un nom en Côte d’Ivoire, et les modèles féminins du genre furent donc peu nombreuses. Depuis son apparition, les gens ont eu tendance à la comparer à Andy S, l’une des seules rappeuses actuelles qui parvient à faire parler d’elle. Mosty a justement choisi de l’inviter pour son premier EP. sur le morceau « Pilote ». Un des grands moments du projet et probablement l’un des meilleurs featurings de l’année. La chanson a été enregistrée à Abidjan cet été. Mosty était de retour au pays pour la première fois depuis quatre ans. Elle se souvient que ce jour-là « l’ambiance dans le studio était électrique ». Au contact de son aînée, elle en profite pour apprendre : « J’ai observé comment une rappeuse féminine se comporte en studio, comment elle pose, comment elle parle, comment elle rappe posément. »
Pour l’occasion, Mosty n’a pas contenu son talent ni son énergie. On ne l’a jamais entendue si agressive sur le beat. Le couplet d’Andy S est plus retenu, mais tout aussi percutant. Comme sur son EP Le Rap N’a Pas De Sex ou dans « Petite Aminata », elle cloue le bec aux hommes misogynes. Techniquement, Mosty est capable de kicker comme de chanter, rappelant ainsi quelque part l’Américaine Nicki MInaj, une grande influence pour elle, ou encore la Martiniquaise Meryl, sans oublier la chanteuse jamaïcaine Koffee (« Toast », « Rapture », « Lockdown »), à peine plus âgée qu’elle. Mosty utilise aussi les atalaku, ces motifs rythmiques vocaux popularisés par DJ Arafat : « Quand tu as grandi avec ça, tu ne peux pas t’empêcher », confie-t-elle.
Représenter les racines
Elle explique que la musique est un échappatoire pour elle : « Je ne me sens pas chez moi en France. D’ailleurs, ils ne font pas en sorte que tu te sentes chez toi. Le rap ivoire, ça me rappelle Abidjan. Tu ne peux pas t’empêcher d’être en manque d’Abidjan et de son ambiance. Quand je fais du rap, de la musique, je me retrouve. Dans le studio, j’ai l’impression d’être là-bas.»
À travers ce premier projet, Mosty a voulu se reconnecter à ses racines et elle a multiplié les références à ses origines familiales. Commençons par le titre « Aya de Didiévi ». Aya, c’est le prénom donné aux filles nées le vendredi chez les Akan, l’ethnie de son père. Le vendredi, c’est aussi le jour de sortie de ce projet. Didiévi est le village de son père, situé dans le centre de la Côte d’Ivoire. « Pour moi, ce titre, c’est une manière de me dire que je viens de là tout en étant en France. Mais, c’est aussi une utopie parce que je ne sais pas à quoi ça ressemble, je ne suis jamais partie là-bas, donc je me fais des petits films. Mais je m’identifie à ça, c’est de là que je viens. Je me reconnais dans la culture de ma famille paternelle », explique-t-elle. Ensuite, sur la pochette, Mosty pose dans une rame de la ligne 14 du métro parisien. La tracklist de l’album a été représentée sous la forme d’un plan de ligne de métro. « On met des sons ivoiriens sur le métro français. C’est un peu pour implanter le drapeau, c’est pour nous. On prend notre place », nous raconte-t-elle. Pour le visuel, elle a aussi choisi de s’afficher avec le chapeau que les Akan, les Baoulés et les Agnis portent dans la région de Didiévi.
Mais Mosty, c’est aussi Aya de Grand-Bassam, ce village côtier près d’Abidjan. Avec « Faut danser », elle a aussi voulu rendre hommage à sa famille maternelle, originaire de cet endroit. Elle y reprend le titre « Zoblazo » du chanteur Meiway, lui aussi originaire de Bassam. Elle a même contacté l’intéressé pour qu’il lui en dise plus sur cette chanson : « Il m’a dit qu’il s’agit d’une chanson pour appeler les gens à chanter, pour appeler les femmes nzema à danser. Moi je reprends ce message, mais en version egotrip. » Mr. Béhi a ajouté en fond des trompettes qui rappellent celles utilisées lors des fêtes traditionnelles des Nzema, le peuple qui a fondé Bassam.
La rappeuse va bientôt s’envoler pour la Côte d’Ivoire, espérant récolter ce qu’elle sème depuis quelques mois et enfin communier sur scène avec son public qui l’attend. Tout n’est pas encore parfait. Mais la jeune artiste touche par sa maturité. Son premier EP est surprenant de densité. Nous suivrons avec attention la suite de sa carrière, qui ne fait que commencer.
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